Le Rafale N’a Jamais Eu D’avance Technologique

L’armée de l’air brésilienne ne veut pas du Rafale. Dans les conclusions d’un rapport dont a fait état, mardi 5 janvier, le quotidien Folha de Sao Paulo, le haut commandement indique préférer le chasseur suédois Gripen NG, de Saab, pour moderniser sa force aérienne. Il place le F/A-18 Super Hornet de Boeing au deuxième rang et l’appareil fabriqué par le groupe Dassault seulement en troisième position. Les trois constructeurs sont en concurrence pour un marché de 36 avions de combat multirôle qui pourrait atteindre 4 milliards d’euros. Le choix des militaires est contraire à celui exprimé à plusieurs reprises par le président Lula et par le ministre de la Défense Nelson Jobim. Les deux hommes sont favorables au Rafale, une préférence qu’ils inscrivent dans le cadre d’un partenariat stratégique avec la France. Nous republions un article de septembre notre chroniqueur Jacques Benillouche sur le manque d’avance technologique du Rafale.

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Nicolas Sarkozy a eu la lourde tâche au Brésil de tenter de sauver le Rafale et les usines Dassault. La démonstration en vol de l’avion de combat français au dernier salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget avait enthousiasmé les spectateurs et même surpris agréablement les spécialistes militaires, seuls capables de mesurer la technicité de cet avion de combat. Et pourtant le Rafale ne s’est jamais vendu hors de France et n’a jamais vraiment soulevé l’enthousiasme des forces aériennes étrangères.

Un espoir avait effleuré les dirigeants de Dassault lors de la visite en France du président libyen Muammar Kadhafi mais il s’est effondré malgré toutes les marques d’attention dont a fait l’objet le dictateur au pouvoir depuis quarante ans. Par ailleurs, les pressions américaines, pour ne pas dire les chantages, ont été tels que quelques Etats qui par amitié pour la France avaient sélectionnés le Rafale pour leurs armées nationales ont renoncé. Le Maroc s’est ainsi ravisé à la veille de signer un bon de commande de l’avion français.

Les raisons de cette défiance à l’égard du Rafale sont aussi à rechercher ailleurs et elles nous ont été expliquées par un nostalgique de l’épopée aérienne franco-israélienne. Le succès du Mirage, contrairement au Rafale, est lié à son avance technique et à ses succès en combat. Sa réputation est née pendant la guerre des Six-Jours qui a prouvé la domination de l’avion français piloté par des Israéliens sur les Migs russes des armées arabes.

Le Mirage et Israël

L’armement de l’Etat d’Israël était fourni par les alliés d’alors, les Français et la Grande-Bretagne. Tsahal représentait à l’époque un client privilégié de Marcel Dassault à travers successivement l’Ouragan, le Mystère-IV et le Vautour. Ces avions ont connu les aléas du feu et de multiples améliorations. Les pilotes ont exigé de changer la motorisation, remplacée par un réacteur de Skyhawk américain, et d’insérer des missiles air-air qui n’avaient pas été prévus à l’origine. La coopération militaire entre Paris et Jérusalem, qui était à son apogée, bénéficia de nombreuses suggestions de conception que les ingénieurs français se sont empressés de réaliser. Eizer Weizman, futur chef d’Etat-major de l’armée de l’air et futur président de l’Etat d’Israël, avait suivi les cours de l’Ecole de Guerre à Paris. Ses liens avec les militaires français le pousseront à conseiller Tsahal à mettre en service les Mirage-III dès 1959 et il obtiendra pour ses industries militaires le droit de participer au développement du Mirage.

Un avion de combat ne peut se concevoir uniquement dans les centres de simulation et, quel que soit le génie des ingénieurs, il a besoin d’être validé après une analyse de son comportement lors des combats réels. L’exemple du Mirage-III est éloquent. Intercepteur de haute altitude à haute vitesse ascensionnelle, il ne correspondait pas aux critères recherchés par l’armée israélienne qui avait à faire face aux Mig-21 et Mig-17 russes.

Weizman voulait faire de l’intercepteur un appareil multifonctions et recommanda l’installation de canons de 30mm pour donner à l’avion d’autres posibilités comme l’escorte et l’attaque au sol. En dépit de ces modifications, l’avion sorti des usines ne répondait pas totalement aux besoins des combats puisqu’il manquait ses cibles. Deux pilotes israéliens mirent en lumière la cause de ces défaillances dues au mauvais alignement des canons et à un défaut de conception des munitions. Ils découvrirent ainsi que le système de visée et de tir associé était mal conçu. Ils aidèrent alors à mettre au point un système tellement efficace qu’aucun avion ennemi ne fut plus raté.

Doté de ces modifications techniques, le Mirage conquit ainsi la suprématie du ciel du Moyen-Orient. Toutes les armées du monde s’arrachèrent alors ce qui se faisait de mieux comme avion de chasse supérieur aux Mig russes.

Embargo du général de Gaulle

L’embargo décidé en 1967 par le Général de Gaulle mit un terme à la collaboration franco-israélienne dans le domaine de l’aviation de guerre. Les israéliens s’équipèrent alors de matériel américain et firent bénéficier leurs nouveaux fournisseurs de leur expérience. Les guerres de Kippour en 1973, du Liban et de Gaza, côté israélien, puis les guerres d’Irak et d’Afghanistan, côté américain, ont fini par donner à l’aviation américaine et à ses matériels ses lettres de noblesse. La frilosité des armées étrangères vis-à-vis du Rafale s’explique ainsi par une technologie moins révolutionnaire que le Mirage (aile delta) et par l’absence de référence guerrière. Cet avion manque d’expérience au feu tandis que l’armée française, limitée dans son usage, n’a pu fournir de données relatives à son utilisation au combat.

Les Emirats arabes unis viennent de montrer leur intérêt pour l’avion de chasse français mais, en le comparant à la concurrence notamment américaine, ils ont imposé un cahier des charges modifiant les «spécifications techniques et opérationnelles» avant de concrétiser la signature du contrat. Ils souhaitent moderniser un Rafale n’ayant subi aucune modification technique depuis sa conception théorique afin de lui adjoindre des moteurs plus puissants et des radars dignes d’un avion de combat moderne.

L’embargo, officiellement toujours en vigueur, a contraint Israël à développer des industries aéronautiques militaires. Il ne produit certes pas encore de systèmes d’armes complets comme les hélicoptères ou les avions de chasse mais il améliore les matériels étrangers et a acquis un savoir-faire indéniable dans ce domaine. Israêl aussi une expertise dans le domaine des drones. D’ailleurs, le groupe Thalès a choisi la société israélienne Elbit pour fournir en location à l’armée britannique 450 drones pour son usage opérationnel en Irak et en Afghanistan. Le concept du drone a été inventé par Israël à la fin des années 60 au moment du grand amour franco-israélien.

Agent commercial

La fourniture des avions les plus perfectionnées par les Etats-Unis à Israël ne s’explique pas seulement par la solidarité avec un allié historique. L’Etat juif, avec ses pilotes chevronnés, joue un rôle d’agent commercial. Après la levée par le Sénat américain de l’interdiction d’exportation, Israël recevra bientôt des F-22 de dernière génération qui seront ensuite proposés à d’autres armées du monde.

Le Rafale qui est d’une génération plus ancienne ne dispose pas aujourd’hui de parrains. Sorti de l’usine sur la base de la seule conception théorique des ingénieurs, il attend qu’une armée étrangère veuille bien l’éprouver.

Les acheteurs potentiels du Rafale ont besoin qu’une armée les conforte dans leur choix. Les Israéliens nostalgiques de l’épopée française et qui se sentent trop dépendants de l’allié américain, souhaiteraient bien diversifier leurs sources d’approvisionnements. Ils se mettent à rêver d’une nouvelle idylle avec Dassault, comme au bon vieux temps. Mais le rêve loin de la réalité. Le Rafale ne volera pas dans le ciel israélien à moins que Dassault mette une croix définitive sur ses espérances commerciales avec les pays arabes.